Pourquoi le Sénégal est « accro » aux oignons hollandais
- Mignane DIOUF
- 21 nov.
- 4 min de lecture
Un ami néerlandais m’a envoyé un article en riant. On y lisait que le Sénégal était, une fois de plus, la première destination mondiale des oignons hollandais. Il m’a demandé, avec un mélange de curiosité et de jugement: « pourquoi vous en achetez autant ? ». Je lui ai répondu que nous en consommons beaucoup, que la production locale est très concentrée dans le temps et que nous avons du mal à conserver ce que nous produisons. C’était vrai, mais très incomplet. Cette petite question révèle un paradoxe plus profond: comment un pays qui investit massivement pour renforcer sa production continue-t-il d’augmenter ses importations année après année.
Comprendre le Paradoxe : Décryptage et Explications
Le Sénégal produit davantage qu’avant. Les rendements progressent, les producteurs se professionnalisent et les politiques agricoles ont mis l’oignon au cœur de leurs priorités. En parallèle, la consommation augmente, portée par la démographie, l’urbanisation et l’importance de l’oignon dans les usages culinaires urbains. Pourtant, malgré cette montée en puissance, l’essentiel de la production locale reste concentré sur quelques mois. Les pertes post-récolte sont significatives. Les stocks s’épuisent vite. Les importations reviennent chaque année combler les creux. Production et importations augmentent en parallèle. Le système alimentaire du pays a grandi plus vite que sa capacité de conservation et de régulation.
D'un point de vue qualitatif, nombreux sont ceux qui considèrent la pluviométrie comme le principal facteur des problèmes de production d'oignons au Sénégal. Certaines régions des Pays-Bas reçoivent autant, voire plus de précipitations que le Sénégal selon les années. La principale différence réside dans la gestion de l'humidité après la récolte. Les oignons néerlandais sont séchés, ventilés, calibrés et stockés dans des environnements contrôlés qui stabilisent leur taux d’humidité et leur fermeté. Les variétés dominantes au Sénégal tolèrent beaucoup moins cette humidité résiduelle, ce qui réduit leur tenue dans le temps. Chez Afrikamart, nous avons observé une réalité sur le marché: lorsque local et importé étaient disponibles en même temps, plusieurs clients professionnels demandaient l’oignon néerlandais car selon eux l’oignon local rendait trop d’eau à la coupe. Sur un marché urbain exigeant, ce détail suffit à orienter les choix.
Pourquoi l’oignon hollandais s’impose-t-il autant
La régularité de l’offre joue aussi un rôle central. Les importateurs savent qu’ils peuvent obtenir des volumes constants, un calibre homogène et une disponibilité continue, semaine après semaine. Les détaillants et les cuisines professionnelles ne peuvent pas se permettre des ruptures ou des variations trop brusques de qualité. L’oignon hollandais satisfait cette exigence de stabilité.
L’environnement économique accentue ces dynamiques. Les blocages saisonniers d’importation, suivis de réouvertures rapides en cas de tension, créent une incertitude permanente. Cette instabilité décourage les investissements lourds dans la conservation et entretient, paradoxalement, la dépendance à une source étrangère plus prévisible.
Quels défis cela révèle-t-il vraiment
Les défis sont multiples et interdépendants.
Le défi agronomique: les variétés dominantes ne sont pas conçues pour un stockage long.
Le défi logistique: l’humidité reste mal contrôlée du champ jusqu’au marché.
Le défi économique: les règles de marché sont instables et génèrent des effets de bord.
Le défi culturel: l’oignon occupe une place centrale dans la cuisine, ce qui rend la question des substitutions délicate. Pourtant, les adaptations existent déjà pour d’autres aliments. Lorsque le prix de la pomme de terre augmentait, nous observions que de nombreux ménages se tournaient vers la patate douce locale. Au vu du repère gustatif fort que l’oignon représente dans la gastronomie sénégalaise, une substitution totale n’est ni culturellement ni économiquement réaliste, mais une substitution partielle et temporaire, associée à une meilleure gestion de la chaîne d’approvisionnement, devrait s’envisager.
Quelles pistes explorer sans prétendre apporter une solution unique
La réponse n’est pas uniquement dans l’augmentation des volumes. Elle est dans la cohérence d’ensemble.
Repenser les variétés pour privilégier celles qui supportent mieux la conservation.
Renforcer la maîtrise de l’humidité après récolte.
Stabiliser les règles d’importation pour donner de la visibilité aux producteurs.
Étaler la saison grâce à une diversification géographique maîtrisée.
Comprendre les usages culinaires et leurs marges d’adaptation.
Et surtout, repenser ce que l’on attend d’un système alimentaire résilient: pas une autosuffisance rigide, mais un équilibre intelligent entre production locale, conservation, diversité des sources et comportements de consommation.
Conclusion
Ce que révèle la place prise par l’oignon hollandais au Sénégal dépasse largement la filière elle-même. C’est le miroir d’un système alimentaire en transition, où la production locale progresse mais où la maîtrise de l’humidité, la qualité post-récolte, la régulation des marchés et les usages culinaires avancent à des vitesses différentes. La dépendance persistante aux importations ne traduit pas un manque de volonté ni un échec des producteurs. Elle signale l’importance de repenser la cohérence d’ensemble: les variétés que l’on cultive, la manière dont on les conserve, le rôle de l’importation comme complément, la place réelle des préférences alimentaires dans les arbitrages quotidiens.
Si le sujet mérite d’être regardé avec sérieux, il mérite aussi d’être abordé avec nuance. Aucun pays ne garantit sa souveraineté alimentaire en opposant production locale et importation. Les systèmes résilients reposent sur un équilibre conçu, assumé et transparent entre plusieurs sources d’approvisionnement, plusieurs temporalités et plusieurs comportements. La question n’est donc pas de réduire absolument les importations, mais de construire un environnement où elles deviennent un choix réfléchi plutôt qu’une nécessité systématique.
C’est dans cette capacité collective à relier production, conservation, marché et consommation que se trouvent les leviers les plus prometteurs. Et c’est probablement là que se jouera, demain, la place de l’oignon sénégalais sur son propre marché.




Commentaires